10 ans d’ULB-Coopération : Drs Serge Ngaima et Jean-Bosco Kahindo
Basés de part et d’autre du pays, les Drs Jean-Bosco Kahindo et Serge Ngaima contribuent depuis de nombreuses années à l’amélioration du système de santé congolais. Un travail de longue haleine dont ils nous dévoilent les coulisses.
Comment définiriez-vous votre approche de la santé ?
En chœur : C’est une approche de systémique !
S.N. : Notre core business, c’est de renforcer les systèmes de santé. C’est indispensable pour développer les terroirs et les communautés.
J-B.K. : Oui, le renforcement des systèmes de santé, en travaillant sur les leviers et en mettant en place les dispositifs qui y concourent, comme les centrales de médicaments, le centre de formation, l’accréditation, des études scientifiques ciblées…
En 2013, l’OMS a publié un rapport sur la santé dans le monde qui insiste sur la nécessité de la recherche dans le domaine de la santé pour éclairer, baliser la voie et identifier les stratégies qui permettent de progresser vers la Couverture Santé Universelle. Nous nous inscrivons dans cette perspective, et je dois dire que nous étions déjà en avance dans le domaine avec le CEMUBAC. La stratégie du ministère de la Santé congolais est aussi d’élaborer des normes, des politiques, d’émettre des directives basées sur les données du système d’information sanitaire et sur des résultats de recherche. En tant qu’ONG universitaire, l’articulation Université-ONG nous permet de mobiliser l’expertise pertinente requise pour participer à ces études, impacter les politiques et tester de nouvelles stratégies.
S.N. : Oui, nos évidences ont par exemple permis de nourrir l’actuel plan national de développement sanitaire de la RDC. Celui-ci intègre notamment nos approches en matière de participation communautaire, développées à Goma et Kinshasa. Durant les travaux des commissions, nous avons pu montrer que les approches traditionnelles, surtout en milieu urbain, ne donnaient pas de bons résultats. Tout le travail réalisé au Nord-Kivu autour de la Couverture Santé Universelle, du renforcement de la première ligne de soins et de l’accréditation a également été repris dans le plan national, sur base des échanges et des données que nous avons pu recueillir. C’est un motif de fierté.
Goma et Kinshasa travaillent donc ensemble, malgré la distance ?
S.N. : Oui, je participe aux travaux des commissions des instances de coordination entre les autorités étatiques et les partenaires du secteur de la santé. Avant d’entrer en commission, j’appelle Jean-Bosco pour savoir s’il y a du nouveau au Nord-Kivu. Je participe également à des voyages d’études, même si c’est lié à un projet spécifique au Nord-Kivu, pour avoir un excellent niveau de connaissance de nos projets respectifs.
J-B.K. : Par exemple, l’année passée, nous sommes allés au Gabon avec des représentants du ministère de la Santé congolais, pour observer comment le pays avait mis sur pied son système d’assurance maladie. Ce voyage a été très instructif pour nous, mais aussi pour eux, car nous avons porté un autre regard sur l’organisation gabonaise du système de santé.
Nous avons en effet beaucoup travaillé sur le cadre légal de la RDC. À travers plusieurs études menées notamment avec l’aide du professeur Tchouaket, nous avons montré que le dispositif, basé sur l’adhésion volontaire à une mutuelle, ne permettait pas d’atteindre la couverture sanitaire universelle. On dirait que notre message a été entendu, puisque les autorités congolaises ont changé la loi pour rendre l’assurance maladie obligatoire et ainsi couvrir tout le monde. Nous avions également évalué le coût de cette couverture au niveau provincial et proposé des pistes pour la financer, dont des modalités de financements innovantes !
Quels sont les défis que vous rencontrez actuellement ? Sont-ils différents de ceux d'il y a 10 ans ?
J-B.K. :Les défis évoluent avec le temps. Par exemple, il y a 2 ans, au Nord-Kivu, nous avions un autre profil d’autorités… Il y avait des parlementaires avec qui nous avions développé des relations. Aujourd’hui, ce sont des militaires avec d’autres priorités… La situation a beaucoup évolué : travailler est devenu beaucoup plus difficile avec la pagaille des groupes armés. Il faut à chaque fois adapter les stratégies. Cela dit, nous savons où nous voulons aller, donc nous trouvons des solutions pour surmonter les obstacles.
S.N. : À cela j’ajoute également une baisse de la qualité de la formation. Les prestataires ne parviennent pas à offrir des services de qualité dans les structures sanitaires. Cela crée des problèmes et des tensions inutiles.
Grâce à ULB-Coopération notamment, le Nord-Kivu s'est doté d'un centre de formation continue très prometteur. A quand un dispositif similaire à Kinshasa ?
S.N. : À Kinshasa, nous utilisons une autre approche. Nous collaborons avec l’Université de Kinshasa pour pouvoir intégrer une approche de formation qui recourt aux méthodes théoriques, pratiques et échanges d’expériences. La pratique intègre aussi l’approche par la simulation, assez novatrice en RDC. Nous sommes également en discussion avec la clinique Ngaliema, une grande clinique à vocation nationale, qui veut aussi mettre en place un centre de formation par simulation.
Son parcours
- 2013 : rencontre avec Jean-Bosco, à l’occasion d’une étude au Sud-Ubangi
- 2014 : poste de médecin assistant technique de la Zone de Santé de Kirotshe au Nord-Kivu, pour le CEMUBAC/ULB-Coopération
- 2016 : coordinateur d’ULB-Coopération à Kinshasa
Une anecdote : Mascu+, un projet (trans)formateur !
“Le projet sur lequel j’ai adoré travailler, c’est le projet Masculinités Positives, qui vient de s’achever. C’est un projet pluridisciplinaire qui intègre la sociologie, l’anthropologie, la médecine, etc. C’est intéressant parce que, en tant que médecin chargé de projets d’une ONG, tu crois apporter la technique, le savoir, mais en réalité tu apprends beaucoup des interactions dans les communautés. Par exemple, parler de la non-violence ou de l’égalité de genre seulement dans le cadre scolaire n’a pas de sens, il faut également en parler dans la famille, dans les transports, dans les centres de santé, etc. Grâce à cette approche, je me suis rendu compte que, quel que soit le projet, il faudrait intégrer un volet réflexif pour transformer les comportements.”
Son parcours
- 1995 : premier poste au CEMUBAC et stage d’un mois à l’HPNK. Médecin traitant, ensuite médecin directeur, enfin médecin chef de zone à Kirotshe
- 1999 : spécialisation en santé publique, à Bruxelles, suivie d’une thèse à l’ULB
- 2001 : ouverture du premier bureau du CEMUBAC à Kinshasa
- 2010 : coordinateur d’ULB-Coopération au Nord-Kivu
Une anecdote : l’effet papillon
“Quand nous avons ouvert le premier bureau à Kinshasa, c’était à l’occasion de l’un des premiers projets d’appui structuré à la direction provinciale de la santé de Kinshasa. C’était un projet de 24 mois financé par l’Union européenne. Avant la fin dudit projet, nous avons été mis en contact avec les experts de la Banque mondiale qui réalisaient une étude de faisabilité des projets d’urgence dans le secteur de la santé en RDC. Au cours de la réunion organisée par le médecin inspecteur provincial, je me suis présenté avec une petite concept note sur un appui structuré à la province de Kinshasa. Apparemment, notre projet l’a intéressé puisqu’il nous a recontactés et nous avons dû monter un dossier dans un délai très court. Notre proposition a été acceptée et nous avons décroché un budget de 6.317.000 USD. Parmi les actions menées, nous avons ainsi pu construire et équiper 38 infrastructures sanitaires en 36 mois et mettre en place la première centrale de distribution régionale des médicaments essentiels de Kinshasa, la CAMESKIN !”