Les arbres fertilitaires
L’APAF, partenaire d’ULB-Coopération pour une réponse à l’appauvrissement des sols en Afrique
ULB-Coopération soutient des actions en faveur de la préservation de l’environnement en milieu rural et des activités de lutte contre le déboisement. En République démocratique du Congo, citons les projets de foresterie communautaire près de Kisangani et d’agroforesterie sur le plateau Batéké, ainsi que ceux de préservation des raphiales au Cameroun ou encore de gestion forestière raisonnée au Burkina Faso.
En 2015, ULB-Coopération a débuté sa collaboration avec APAF au Sénégal, afin d’inciter les productrices de produits maraîchers de la région de Tambacounda à cultiver de manière biologique, avec l’aide d’arbres fertilitaires et de bio-pesticides. En 2016, 38.000 arbres ont été plantés dans 52 parcelles !
Afin de consolider cette relation privilégiée, un accord-cadre de partenariat a été conclu entre ULB-Coopération et APAF International. Ce partenariat valorise le travail entrepris, et permet de poursuivre, avec les paysans et paysannes de plusieurs pays d’Afrique, la diffusion des méthodes durables et ancestrales (voir ci-dessous) de culture. Des centaines de milliers d’arbres seront plantés dans les années à venir, permettant d’assurer une sécurité alimentaire, une diversité nutritionnelle, des revenus plus stables et de contribuer à endiguer l’exode rural.
Dégradations des ressources
Les richesses naturelles en Afrique dominent largement l’économie des pays et représentent les plus importantes ressources alimentaires et financières des populations vivant dans les zones rurales. Pourtant la gestion durable des ressources naturelles reste un défi immense. Cinquante ans de politique de développement se soldent malheureusement par un échec agronomique et environnemental. Les deux tiers des sols cultivables sont dégradés. De plus, la poussée démographique en Afrique de l’Ouest, dont on estime le doublement d’ici 2050, crée un véritable état d’urgence.
La plupart des solutions techniques mises en œuvre pour fertiliser les terres n’ont fait qu’accélérer leur appauvrissement. Le recours aux engrais chimiques et pesticides de synthèse, loin de garantir la sécurité alimentaire, entraîne des problèmes de santé, de pollution des sols et de l’eau. Il favorise l’extension de cultures sur des terres destinées à la jachère, aux pâturages et la destruction des forêts. Dans certaines régions, la dégradation des écosystèmes naturels est le signe le plus visible de la destruction des conditions de production et de vie des populations rurales.
Un savoir enfoui
Face à ces défis, l’Association pour la promotion des arbres fertilitaires de l’agroforesterie et la foresterie (APAF) a développé dès le début des années ‘90 des projets visant à vulgariser des techniques agroforestières en milieu paysan, notamment avec le soutien de la coopération belge puis de l’Union européenne. L’APAF a commencé par un travail d’observation et de recherche participative, pour petit à petit découvrir, identifier et réactualiser une technique ancestrale. Une enquête approfondie sur le terrain et la visite de nombreux anciens champs agroforestiers ont permis aux membres de l’APAF de faire une observation capitale : la présence systématique et récurrente dans ces anciens champs d’arbres de la famille des légumineuses et une certaine abondance végétale au pied de ceux-ci.
Cette combinaison vertueuse d’espèces, ancienne technique agroécologique, est bien adaptée à l’agriculture paysanne et répond à de nombreuses attentes. Elle permet de cultiver sans apport d’intrant externe sur les mêmes parcelles de terre, année après année, génération après génération, et ceci tout en reboisant les terroirs des villages. Elle fertilise les sols, les enrichit en matière organique et les structure. Elle améliore la porosité des sols et leur capacité de stockage de l’eau et d’éléments nutritifs. Elle diversifie et augmente les sources de revenus par la production de bois de chauffe et d’œuvre, de fourrage, et par l’économie d’achat d’engrais. Elle permet une adaptation au changement climatique local et une régulation des cycles de l’eau. Ces arbres, dits fertilitaires, ont en effet un trésor sous leurs « pieds ».
Arbres magiques !
Munis d’une racine pivotante capable de remonter depuis les couches profondes du sol (de 10 à 30 m de profondeur) les minéraux (N, P, K et autres) et l’eau nécessaires à l’enrichissement de la couche arable, ces arbres favorisent grandement la restauration du sol.
« Un arbre fertilitaire est un arbre dont l’activité enrichit la couche arable d’une terre, en améliore la texture et en favorise la structuration. Pour exercer efficacement sa fonction dans les champs, il doit être convivial, c’est- à-dire qu’il ne peut entrer en concurrence forte avec les espèces cultivées pour leurs productions domestiques ou marchandes. » (Dupriez-de Leener, 1993).
Par ailleurs, des bactéries fixatrices d’azote (rhizobium) et des champignons (mycorhizes) qui sont des rabatteurs de phosphore, potasse et autres minéraux, vivent en symbiose totale avec le système racinaire des arbres fertilitaires. De même les champignons mycorhiziens vivent en harmonie avec les plantes cultivées (café, cacao, palmier, coton, maïs, mil taro…) et apportent les minéraux attirés en surface par les arbres fertilitaires.
Ces mycorhizes facilitent aussi l’absorption de l’eau par les plantes. Elles permettent d’acquérir une meilleure résistance à diverses attaques de pathogènes en provenance du sol et élaborent des substances antibiotiques et vitamines dont les plantes profitent directement.
Dans le domaine agricole, le cas le mieux connu de symbiose est celui des légumineuses et du rhizobium.
La plante offre le gîte à la bactérie dans ses nodosités racinaires. La bactérie capte l’azote de l’air et le restitue sous une forme directement assimilable. Les espèces de rhizobium doivent être compatibles avec celles des légumineuses exploitées. Parmi les espèces capables d’abriter les bactéries symbiotiques, il y a la très vaste famille des légumineuses extrêmement répandue en Afrique tropicale et qui fournit la plupart des espèces à haut rendement et à croissance rapide (Albizia adiantifolia, Albizia zygia…). Lorsque la symbiose réussit, les quantités d’azote fixées peuvent être importantes (de 50 à 100 kg par ha et par an). Ces légumineuses arborescentes peuvent également apporter par leurs émondes plus de 200 kg d’azote par ha et par an.
Une approche naturaliste
La technique agroforestière principalement vulgarisée par l’APAF consiste à introduire des arbres fertilitaires dans les champs des paysan·ne·s, par une démarche volontaire et participative, incluant leur formation pratique aux différentes techniques dans les champs, individuels ou collectifs. On y cultive alors sous et autour des arbres. Quand ils ne pré-existent pas dans leur milieu, les arbres sont produits en pépinières puis introduits dans les champs. Les paysan·ne·s sont formé·e·s à la conduite des pépinières, à la plantation des arbres et à leur entretien (élagage et abattage sélectifs). Quand ces arbres sont déjà présents sur place, les paysan·ne·s sont formé·e·s à la régénération naturelle assistée (formation à la mise en place de haies vives et clôtures, mesures de protection des arbres). Un petit équipement (machettes, râteaux, pioches, arrosoirs) est alloué et les plants sont gratuits. Ces techniques promues par l’APAF inversent le processus de dégradation des terres par la pratique de systèmes écologiquement stables et économiquement viables. On utilise mieux et durablement les ressources afin d’assurer un équilibre à long terme des sols tropicaux fragiles. Il s’agit de lutter contre la désertification, d’augmenter la productivité et de garantir la sécurité alimentaire.
Ces techniques se substituent à celle, encore très pratiquée, de « l’abattis brûlis » qui consiste à défricher et brûler la forêt pour y cultiver. Les terres, épuisées en quelques années, sont abandonnées et deviennent désertiques. Les paysan·ne·s se déplacent alors pour défricher d’autres terres et abattre d’autres forêts.
La mise en œuvre des techniques agroforestières avec les arbres fertilitaires et les bénéfices qu’elles apportent, peuvent participer à enrayer l’exode rural, qui alimente les flux migratoires intra-africains et vers l’Europe. Ces flux sans précédent vont déstabiliser notablement les sociétés d’Afrique et d’Europe. Le manque de volonté politique lié à l’incrédulité de certain·e·s scientifiques et acteur·trice·s de la coopération quant à la méthode (tant dans ses aspects techniques qu’humains) n’a pas permis de développer à grande échelle cette approche, pourtant efficace et peu onéreuse.
Une révolution partie de la base paysanne
Deux expertises ont été réalisées sur les projets d’APAF au Togo. La première (2007) montre que le modèle agroforestier « multi-étagé » a reçu l’adhésion de tous les paysans et de toutes les paysannes concerné·e·s. L’étude souligne des impacts environnementaux importants et de nombreux avantages économiques et sociaux. La deuxième expertise (2010) note une amélioration sensible de la qualité des sols et un accroissement des rendements. Elle montre aussi l’adoption forte de la technique par des populations non visées par le programme. La raison qui a motivé les producteurs à adopter ces techniques est d’abord économique : bénéfices accrus par la baisse voire la disparition d’achat d’intrants et par la production de bois de chauffe. Les considérations environnementales viennent ensuite lorsque les paysans découvrent les bénéfices écologiques de ces techniques : réassort des nappes phréatiques et des sources, fertilité durable, biodiversité, retour de faune pour la chasse… Les arbres reprennent leur place dans les champs cultivés.
À ce jour, l’APAF a planté plus de 6 millions d’arbres en Afrique de l’Ouest, fertilisant plus de 50.000 ha de terres agricoles. Face au succès de l’APAF au Togo, des structures du même nom sont nées dans les années 2000 au Burkina Faso et au Sénégal. Actuellement, des APAF se créent au Mali, au Cameroun et en RDC (d’autres APAF sont en gestation). Le virus agroforestier se répand partout !
Une technique qui dérange
Des milliers de paysannes et paysans togolais, qui ont adopté les techniques agroforestières avec les arbres fertilitaires, sont dispensés d’acheter les coûteux intrants externes que sont les engrais chimiques et les pesticides de synthèse.
Cette épargne modifie radicalement les rapports de force et les rapports économiques dans les villages. De ce fait, l’introduction de ces techniques est révolutionnaire au sens noble du terme. Elle libère les paysan·ne·s du système d’exploitation mis en place par les marchands d’engrais et de pesticides qui consiste à avancer ces produits aux paysan·ne·s qui remboursent les marchands en leur vendant leurs productions (café, cacao…) au cours fixé par ceux-ci. Les pertes et le manque à gagner des groupes agro-industriels et des filières commerciales de distribution commencent à se faire sentir. Les pressions sur les membres de l’APAF également !
Autre obstacle, l’agriculture « moderne » s’est longtemps conçue sans arbres, rendement, productivité et normalisation des techniques obligent. Ici, à l’opposé de ces conceptions, un savoir-faire ancestral resurgit. Il remet l’arbre au centre de la vie.