Visite de notre projet agroforestier dans le Kwamouth
En mai 2013, le SLCD, aujourd’hui devenu ULB-Coopération, initiait son programme agroforestier dans le sud du territoire Kwamouth (Province de Maï Ndombé, ex-Bandundu) en partenariat avec l’ONG congolaise GI-AGRO. Laurence Hanon, chargée des projets en RDC, a participé, à l’époque, aux enquêtes visant à délimiter les terrains agroforestiers.
Mené par Blaise Kitambala, ingénieur agronome, avec l’assistance de Camille Reyniers, doctorante en anthropologie de l’ULB, ce travail a contribué au projet pilote « REDD » 1 aujourd’hui le mieux abouti au niveau national. Au retour de sa mission de suivi en août dernier, Laurence nous a fait part des éléments de réussite de ce projet.
Une contribution à une stratégie nationale de lutte contre la déforestation en RDC
L’objectif visé par notre programme dans le Sud du territoire Kwamouth est de trouver des alternatives à l’exploitation des forêts dans la région du Plateau Batéké. Conçues et testées avec les agriculteurs et agricultrices sous la supervision du GI-AGRO, ces alternatives contribuent à alimenter la réflexion nationale dans le cadre du programme REDD.
Ce programme de «Réduction des Émissions de CO2 provenant de la Déforestation et de la Dégradation des forêts» est une initiative internationale lancée et coordonnée par l’ONU depuis 2008. Elle vise à lutter contre le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre induites par toute forme de destruction des forêts. La RDC fait partie des 9 pays pilotes du programme REDD. Ce pays met en œuvre la stratégie nationale REDD en s’appuyant sur différents projets pilotes, dont le projet NSK (Novacel Sud Kwamouth) dans le Sud du territoire Kwamouth. Ce projet comprend une partie privée gérée par la société Novacel et une partie villageoise, gérée par le GI-AGRO.
L’implantation des champs agroforestiers à Botulu
Mercredi 11 août, tôt le matin. Notre véhicule se rapproche du village de Botulu. Deux années se sont écoulées depuis ma dernière visite. Je suis accompagnée de Anneke Claes, présidente des « Amis d’Ibi Village », asbl qui soutient financièrement le programme d’ULB-Coopération au Sud Kwamouth. Nous sommes guidées par Blaise Kitambala, coordinateur et responsable technique depuis le démarrage de ce projet, et accompagnées de Paulette Songa-Songa, ingénieure engagée depuis peu pour encadrer les activités à vocation sociale au Sud Kwamouth.
Notre véhicule quitte la route principale pour emprunter une piste menant aux plantations agroforestières. Celles-ci sont installées sur les flancs de la vallée de Bwempu. Nous nous arrêtons en bordure de pente, d’où il est possible de contempler toute l’étendue des champs agroforestiers.
« En tout, nous explique Blaise, ce sont plus de 60 ménages de Botulu qui se sont activement investis dans l’agroforesterie. L’étendue vert clair que vous voyez là (voir photo ci-dessus), a été mise en place en 2014. Le manioc est arrivé à maturité et la récolte a déjà commencé. Celle en contre-bas, jaune clair est l’étendue agroforestière mise en place en 2013, qui a été récoltée fin 2014. Chaque bande fait 100 ha, soit plus d’un hectare et demi de manioc par ménage et par an. »
L’acacia, élément de réponse à l’épuisement des terres agricoles
Blaise nous montre également la forêt de Bwempu, en contre-bas : « Lorsque nous sommes arrivés il y a deux ans, les terres de cette forêt étaient surexploitées par l’agriculture sur brûlis, diminuant chaque année les rendements agricoles. La demande d’alternatives était donc forte à Botulu. »
Les zones de savane, pourtant majoritaires en superficie dans la région, sont sous-exploitées du fait de leur faible fertilité. Le GI-AGRO propose aux agriculteurs et agricultirces d’y planter du manioc et de l’acacia, un arbre à croissance rapide. Ces derniers produisent une litière riche et abondante. Une fois abattus, ils laisseront place à de nouvelles cultures de manioc, qui bénéficieront dès lors de terres fertiles.
L’agroforesterie permet également de fournir du bois de chauffe commercialisable par les producteur·trice·s sur le marché de Kinshasa. « Aujourd’hui nous plantons plus de 10.000 plants d’acacia par ha, nous explique Blaise, après 4 à 6 ans, ils pourront être exploités par les agriculteur·trice·s pour leur transformation en charbon, ce qui devrait également participer à la diminution du taux de déforestation dans la région. »
Stratégies de lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts
Installée sur les zones de savane, l’agroforesterie peut, dans certaines conditions, créer une alternative efficace à l’exploitation des forêts.
Camille Reyniers et Blaise Kitambala ont analysé les raisons favorisant l’adoption de l’agroforesterie dans les différents villages d’intervention du projet : « Ce qui a bien fonctionné à Botulu, c’est le fait que ce village dispose de grandes étendues de savane sur son terroir. De plus, les ménages d’agriculteurs appartiennent tous à la même famille et l’accès à la terre est géré par un membre de cette famille, qui est le chef de Botulu. Ce contexte a facilité les plantations d’acacia sur les parcelles agroforestières.
Au départ, les agriculteurs et agricultrices n’étaient pas convaincus de l’intérêt à s’investir dans un nouveau système de culture. Nous avons donc réalisé un long travail de négociation et de réflexion avec eux pour adapter notre stratégie d’intervention à leurs besoins. Par exemple en couvrant financièrement une partie de la main-d’œuvre liée aux travaux de repiquage des plants à la sortie de la pépinière, tâche qui tombait en effet exactement au moment où les agriculteurs et agricultrices étaient occupés par la préparation de leurs champs en milieu forestier. Aujourd’hui, deux ans après, ce sont ces derniers qui organisent eux-mêmes les plantations d’acacia. La première récolte en 2014 a été une grande source de motivation. La production de manioc a été très bonne. D’après eux, elle a été plus élevée que dans les champs de forêt. »
Blaise Kitambala me montre toute l’étendue de la forêt de Bwempu : « Tu te souviens, lors de ta visite en mai 2013, le chef de Botulu s’était engagé à protéger cette forêt pour une durée de 5 ans en contrepartie de notre appui. Regarde, depuis lors, il n’y a plus aucune activité agricole, plus personne ne veut y cultiver. La superficie de cette zone protégée a été estimée à 400 ha. Et tu vois cette zone de savane entre la forêt galerie et la première zone agroforestière ? Les arbres sont en train de repousser. Les champs agroforestiers sont entourés de pare-feux, ce qui protège aussi bien les champs agroforestiers en amont que la zone de transition forêt/savane en aval. Non seulement la forêt est protégée, mais elle s’étend également. »
Botulu est un des trois villages concernés par le projet pilote REDD au Sud Kwamouth, et je demande à Blaise comment se passe le projet dans les autres villages d’intervention :
« À Buntsiele, dans le village voisin, les agriculteur·trice·s n’ont pas encore planté d’acacia. Ce village ne dispose que de peu d’espace de savane. Il est situé le long de la route principale qui mène à Bandundu-Ville (chef-lieu de la Province) et la dynamique d’occupation des terres est différente. Buntsiele se compose d’une part de familles d’ayants-droit, gestionnaires de la terre, d’autre part d’allochtones. Les ménages d’allochtones louent la terre aux ayants-droit pour une période de deux années au grand maximum. Or, un arbre ne peut se planter que lorsque l’usufruit de la terre est octroyé à long terme. Dans ce cas, nous avons pris l’option de ne pas forcer les plantations d’acacias, pour ne pas générer de conflits sur le foncier entre les agriculteurs. Les terres sont emblavées en manioc ; et concernant les acacias, nous attendons que la chefferie prenne le temps de réfléchir à une solution pour la prochaine saison culturale. En respectant ainsi l’organisation politique locale, nous garantissons la durabilité des futures plantations d’acacias. »
« À Boku, dans le troisième village ciblé par le projet, notre approche est encore différente. Il s’agit là d’un village forestier. Les zones de savane sont éloignées des zones d’habitation, et il n’y avait aucune demande d’y pratiquer l’agroforesterie. Les forêts aux abords du village sont cependant très dégradées, notamment du fait des prélèvements en bois d’œuvre. Le GI-AGRO envisage d’entamer fin 2015 une démarche de gestion communautaire du bois d’œuvre, ce qui participera également à diminuer le taux de dégradation forestière dans la région. »
Laurence Hanon