équipe Mbanza
23/12/20

À la rencontre de notre équipe à Mbanza Ngungu et Kinzau Mvuete

Trois chargés de projets basés au bureau de Mbanza Ngungu – Ernest, Joël et Laurent – prennent la parole, pour nous partager ce que signifie pour eux faire partie d’une d’ONG universitaire, et la façon dont la gestion des savoirs s’intègre dans leurs projets et pratiques.

L’ONG universitaire, au quotidien de projets apicoles

1. Pour vous, c’est quoi le rôle spécifique d’une ONG universitaire ? En quoi se démarque-t-elle des autres ONG ?

 Ernest : Ernest Muanda Assistant Technique Agronome ApicolePour moi, la mission première de l’ONG universitaire est d’offrir un cadre de recherche action et de valorisation de ce que la science produit, en confrontant les résultats à la réalité et aux besoins des communautés. Les populations doivent être les premiers utilisateurs des données de la science.

Joel Vunzi Conseiller TechniqueJoël : L’ONG universitaire concilie les savoirs théoriques et pratiques, pour aboutir à des solutions concrètes aux problèmes du terrain. Être une ONG universitaire, c’est aussi aborder les projets d’une autre façon, en prenant en compte tous les niveaux. L’ONG universitaire ne fait pas que pour faire, mais elle agit aussi pour apprendre, tirer des leçons, capitaliser et diffuser.

2. Le fait de travailler au sein d’une ONG universitaire a-t-il influencé vos pratiques et l’image de votre métier ?

Ernest : Moi, ce que m’a apporté le travail au sein d’une ONG universitaire, c’est plus de rigueur et de réflexion sur ce qu’on met en place. Il faut toujours remettre en question nos hypothèses et surtout pouvoir adapter les projets en fonction de ce qu’on trouve. Les choses peuvent se passer différemment que prévu, il faut être à l’écoute et flexible. C’est l’aspect de la co-construction en fait.

Joël : Travailler dans une ONG universitaire permet de développer de la finesse dans la manière de voir les choses, d’analyser les réalités. Il faut développer des solutions murement réfléchies, être réflexif et rigoureux. Je me sens plus « acteur » dans le développement des communautés, de mes compatriotes, et à la fois j’accumule un savoir-faire capitalisé et diffusé. J’ai une place comme acteur de développement mais aussi comme producteur de savoirs, ancré dans les expériences.

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Cas concrets : L’intégration de la gestion des savoirs au sein du projet d’appui à l’apiculture, à Luki

  • Étudier les systèmes agraires et fonciers, afin de mieux comprendre les contraintes et opportunités des initiatives apicoles

Rucher ConcentréLa complexité des systèmes de gestion foncière autour de la réserve de Luki peut représenter un frein aux perspectives de mise en place de ruchers durables dans la zone. Cette situation risque de limiter les impacts potentiels des initiatives apicoles (économiques, sociaux et environnementaux) qui pourraient même renforcer certaines inégalités.

Différentes études réalisées en cours de projet ont permis de moduler les stratégies d’appui en fonction des contextes spécifiques, afin d’atteindre la diversité des types de producteurs de la région, et d’améliorer l’impact sur la gestion durable des territoires.

Ces études ont été menées conjointement avec les institutions de recherche et de développement présentes dans la région (INERA, ERAIFT et WWF), et la première phase – sous forme de formation-action – a également joué un rôle d’arène de négociations entre les différentes parties prenantes (apiculteurs, agriculteurs, animateurs des différents projets, experts et chercheurs).

En cela, le projet a fait preuve à la fois d’érudition (capable de mobiliser des outils diagnostics et de générer de nouvelles connaissances sur le contexte de la région, afin d’affiner les stratégies) et d’intermédiation entre les différents positionnements, visions et contraintes des acteurs en présence.

Bientôt, les hypothèses générées par ces diagnostics seront confrontées à une étude de faisabilité sur le terrain, auprès des principaux intéressés, afin de systématiser la création de « ruchers concentrés » et leur intégration au sein des systèmes de production. Tel est, entre autres, l’objet de l’étude que mène Jeancy Diyazola, expert thématique en diagnostics contextuels et systèmes agraires.

Ces « ruchers concentrés » représentent une innovation qui a déjà permis d’améliorer considérablement l’accès à l’activité apicole et les rendements par ruche.

  • Un partenariat autour de l’étude et de la valorisation des plantes mellifères

Dans la production apicole, un paramètre important mais pas toujours bien maîtrisé, est la qualité de l’environnement mellifère d’un rucher. Des initiatives de reboisement ont donc toujours fait partie des activités. Mais comment s’assurer de la pertinence du choix des plantes pour assurer un environnement optimal aux abeilles? Comment, aussi, appréhender l’impact que ces initiatives auront à terme autour d’une zone importante de conservation de la biodiversité (Réserve de Biosphère de Luki, classée par l’UNESCO) ? Dans l’optique d’améliorer les stratégies de reboisement et de les rendre plus durables, ULB-Coopération a noué un partenariat avec la station de l’INERA en charge du copilotage de la réserve. Le Jardin Botanique Mellifère de Luki est ainsi né d’une initiative conjointe qui poursuit à la fois un objectif d’étude, de conservation et de valorisation des plantes mellifères locales, en plus de servir d’approvisionnement en semences et boutures pour les pépinières de la zone.

Pépinière 1Ce jardin est articulé aux différents ruchers, où des «apiculteurs-pépiniéristes» sont formés aux techniques de multiplication végétative – sous l’œil attentif de Dady Makaya, responsable de l’appui technique aux pépinières. En outre, des «diagnostics mellifères» autour de ces ruchers permettent d’accompagner les apiculteurs dans la mise en place de plans de reboisement adaptés, afin de mieux couvrir les besoins des abeilles à l’année, et de générer d’autres ressources bien utiles (fruits et autres produits forestiers non-ligneux).

Ces initiatives relèvent d’un projet qui se veut érudit, en contribuant aux connaissances sur la flore locale, et en s’y appuyant pour permettre des décisions éclairées. En outre, le potentiel d’intermédiation et d’appui à un centre de recherche national (et peu financé), offre l’opportunité de matérialiser des recherches et de nouer des collaborations autour de ce lieu d’étude et de visite. Le potentiel d’approvisionnement des pépinières de la zone vise également une portée qui transcende nos activités.

  • L’expérimentation et l’évaluation de la performance de ruches en matériaux alternatifs

Un autre facteur limitant à l’augmentation du cheptel des apiculteurs est le coût relativement élevé de la ruche dite    « Lagrande » (ruche à barrettes), vendue par des menuisiers locaux au prix de 50 USD. Avec l’attrait et la sécurisation que représentent les « ruchers concentrés », les besoins en ruches augmentent et on voit apparaitre des ruches improvisées, jusque dans des gros bidons de plastique !Ruche en plastique

Face à ces initiatives peu conventionnelles et dont on ne mesure pas bien les impacts, les animateurs ont gardé une attitude ouverte, basée sur la co-construction : pourquoi ne pas tester ces modèles système D, et d’autres conçus avec des matériaux naturels locaux (raphia et bambou) ?

Une initiative de recherche-action est donc actuellement en cours. Les résultats apporteront une meilleure idée du coût, de la performance, des conditions d’usage et de l’impact sur la santé des abeilles de ces différents modèles de ruches.

Cette perspective est un exemple de la façon dont une ONG universitaire peut accompagner l’innovation paysanne, sur base des savoirs et de la créativité déployés par les producteurs appuyés pour répondre à leurs propres défis tout en y mettant quelques formes et rigueur, afin d’objectiver les connaissances.

L’ONG universitaire au travers du projet d’agriculture familiale durable

1.Tu viens d’arriver à ULB-Coopération. Pour toi, que veut dire « ONG universitaire » et en quoi cela se démarque de tes expériences préalables ?

Laurent Kikeba Expert Et Chargé D'appui CepLaurent Kikeba : L’ONG universitaire sert de courroie de transmission entre une université et les populations : d’un côté, elle permet de faire remonter les problématiques des populations aux chercheurs, et d’un autre, d’expérimenter des solutions avec ces populations pour identifier les plus porteuses et adaptées. L’ONG universitaire joue aussi un rôle de capitalisation et de diffusion.

Pour moi, cela ne représente pas réellement un dépaysement, car j’ai longtemps travaillé sur les approches CEP (champs école paysans) et la co-construction avec les producteurs.

2.Quelles sont d’après toi les forces et les limites à l’intégration entre recherche et action ?

L’avantage d’une ONG universitaire est sa capacité forte à mobiliser des chercheurs autour des recherches participatives et de l’identification de solutions avec les populations.

Malheureusement, une limite est la durée des projets de coopération, trop courte pour mener à bien des essais long terme, comme sur la gestion de la fertilité des sols, ou l’agroforesterie par exemple.

Ma recommandation serait donc de s’associer à des partenaires locaux pour créer des espaces d’expérimentation dont la durée ne dépend pas du projet (comme le centre de formation et d’expérimentation CEDITA par exemple). Il faut y associer des chercheurs locaux expérimentés. Ce sont ces centres qui peuvent alimenter les CEP et projets de développement.

Cas concrets : L’intégration de la gestion des savoirs au sein du projet d’appui à l’agriculture familiale durable

  • L’expérimentation collective au sein du centre de formation CEDITA de Nkamu

Le projet d’appui à l’agriculture familiale durable, mis en œuvre avec notre partenaire CCDS, s’articule en grande partie autour de l’expérimentation et l’évaluation collective de pratiques agroécologiques, afin d’identifier avec les paysans, celles qui sont le mieux adaptées à leur contexte et leurs priorités.

Préparation Des Parcelles Pour La Msie En Place Des Essais Au Centre CeditaCe processus d’expérimentation s’articule autour du centre de formation en agroécologie créé par le CCDS – le centre CEDITA – qui accueille des élèves issus des milieux ruraux autour de Kisantu, sur un parcours de 3 ans en entrepreneuriat durable. Les essais agronomiques mis en place dans ce milieu « contrôlé », visent à produire les premières données sur les performances des pratiques testées, qui serviront de support aux observations et tests menés au sein des champs écoles paysans, dans les villages.

En appuyant le centre CEDITA, ULB-Coopération aspire à remplir un rôle érudit, en permettant une première évaluation des pratiques encouragées sur base d’une méthodologie rigoureuse. Par ailleurs, en intégrant la mise en œuvre et le suivi des expérimentations dans le curriculum des élèves, un objectif de pédagogie active est visé, tandis que l’accueil de stagiaires professionnels ou jeunes chercheurs cherche à développer l’ancrage universitaire du centre.

  • La conciliation des savoirs au cœur de l’animation des champs-écoles paysans (CEP)

Au sein des villages, l’appui aux comités de développement villageois se fait à travers l’approche « champs-école paysans » qui permet un processus d’apprentissage participatif, de valorisation des savoirs paysans, et de co- construction des innovations.

Les animations qui y prennent place visent à faciliter les processus de gestion du changement et de résolution des problèmes qui peuvent se poser lors de l’adaptation de pratiques alternatives dans les conditions réelles des producteurs. Elles visent également à évaluer de façon plus critique et ancrée localement, la pertinence des pratiques testées au niveau du CEDITA, en y associant un feedback vers le centre dans un processus d’amélioration
continue.

  • Une formation-action pour renforcer les animateurs de notre partenaire, le CCDS

Séance De Formation Pratique Au Sein Du Cep Des FormateursL’intégration de la gestion des savoirs au sein d’un projet, ou les approches basées sur la co-construction peuvent représenter un véritable changement dans les pratiques de certains des partenaires avec qui nous travaillons.

C’est pour permettre l’intégration et la concertation autour de ces nouvelles pratiques qu’un dispositif de formation-action des animateurs du CCDS a été proposé par Laurent. Elle s’articule sur une saison culturale d’un champ-école des formateurs avec toute l’équipe des animateurs de CCDS pour améliorer leurs capacités méthodologiques (techniques d’animation des processus d’apprentissage) et en techniques agroécologiques de production. En outre, les animateurs y sont également formés à des outils d’identification participative freins et moteurs à l’adoption de pratiques agricoles alternatives, et à l’installation des dispositifs d’expérimentation simples.

Par ce processus de renforcement actif des équipes de terrain, ULB-Coopération entend jouer un rôle de co- construction et d’appui à l’innovation au niveau des approches de notre partenaire.

Le Réseau SYNAPIC, vers une gestion des savoirs au centre de notre programme 2022-2026 ?

SYNAPIC, c’est au départ le nom du projet d’appui à l’apiculture démarré par ULB-Coopération en 2014, en synergiePlateforme Paspor avec plusieurs partenaires, et dont l’actuel projet apicole à Luki est le successeur.

Aujourd’hui pourtant, SYNAPIC est l’appellation sous laquelle de nombreux acteurs de la zone reconnaissent le travail des 9 employés d’ULB-Coopération répartis entre Mbanza Ngungu et Luki, qu’il concerne l’appui à l’apiculture ou toute autre thématique liée à la gestion intégrée des territoires.

Au cours des dernières années, « l’équipe SYNAPIC » a ainsi pu développer une expertise et une place reconnue parmi les acteurs de la région, notamment en organisant plusieurs rencontres et espaces d’échanges.

La prise en charge de la première plateforme d’échange du programme PASPOR en 2019 a bien sûr marqué les esprits en réunissant plus de 80 chercheurs, praticiens, chargés de projets, et membres des fédérations paysannes, durant une semaine intense en partages. Mais plusieurs autres initiatives ont ponctué les projets : ateliers, mise en commun d’outils, formation-action, études conjointes, ou encore l’accueil et l’accompagnement de stagiaires, mémorants et consultants juniors.

Ces opportunités de jouer un rôle d’intermédiation ont été pleinement saisies et ont renforcé encore l’importance accordée aux échanges d’expériences, à la concertation multi-acteurs, mais également à la capitalisation et de la diffusion des connaissances générées au sein d’un projet.

Ces initiatives réussies semblent indiquer le chemin de ce qui pourrait devenir à terme la mission principale d’un « Réseau SYNAPIC » : un programme d’appui à la gestion fonctionnelle des savoirs pour répondre à des problématiques de gestion durable des territoires (études diagnostiques, évaluations d’impacts, recherche-action,
expérimentations, capitalisation, diffusion, animation d’échanges, plateformes multi-acteurs…) et qui s’articulerait
autour de diverses relations partenariales.
Une idée à creuser pour 2022 ?

Plateforme Paspor 3          Plateforme Paspor 2