L’état nutritionnel des enfants au Nord-Kivu : quelles actions urgentes ?
La malnutrition est encore aujourd’hui un problème majeur de santé publique en RDC et spécialement chez les jeunes enfants, les femmes enceintes et les femmes allaitantes, qui ont des besoins plus élevés en nutriments, notamment en vitamines et en minéraux, et sont plus sensibles aux conséquences néfastes des carences. Le nombre estimé de cas de malnutrition aigüe atteindrait 3,3 millions d’enfants de moins de 5 ans en 2021[1]. Dans la province du Nord-Kivu, dont la situation nutritionnelle est aggravée par les conditions d’insécurité permanente[2], les services pédiatriques de plusieurs hôpitaux sont occupés à plus de 50 % par des enfants avec une forme de malnutrition sévère.
Le Projet d’Appui au Développement Intégré du Système de Santé du Nord-Kivu (PADISS-NK), financé par l’Union européenne et la Coopération belge et mis en œuvre par ULB-Coopération, prévoit parmi ses axes d’action, d’organiser des enquêtes nutritionnelles, d’organiser et d’améliorer la prise en charge médicale de la malnutrition aiguë et sévère dans les structures de santé du premier et second échelon, et d’élaborer une stratégie provinciale de lutte contre la malnutrition basée sur les ressources locales.
En collaboration avec le programme National de Nutrition (PRONANUT/RDC), le médecin nutritionniste, Alex Feruzi, de l’équipe ULB-Coopération à Goma, a coordonné la réalisation, fin 2020, d’une vaste enquête auprès de 4.273 ménages et 5.138 enfants de 6 à 59 mois. Le rapport sur l’état nutritionnel des enfants de 9 zones de santé du Nord-Kivu (qui en compte un total de 34) est aujourd’hui finalisé. Il s’agit de deux zones dans la ville de Goma (Goma et Karisimbi), deux dans le territoire de Beni (Kyondo et Vuhovi), quatre dans le territoire de Lubero (Biena, Musienene, Manguredjipa et Masereka) et une à Rutshuru. À l’exception de Goma et Karisimbi, qui sont situées en zone urbaine, toutes ces populations vivent essentiellement de l’agriculture. Ces activités de production vivrière sont néanmoins régulièrement réduites à néant à cause des épisodes à répétition d’insécurité (obligeant les ménages à se déplacer inopinément, ou rendant l’accès aux champs temporairement impossible). Plus récemment, les épidémies d’Ebola et de COVID-19 ont également largement perturbé les activités de culture pourtant indispensable à la survie des populations. La situation économique des populations ciblées par le projet est caractérisée par une grande pauvreté et précarité.
Zones de santé couvertes par l’étude
La malnutrition recouvre plusieurs réalités, dont trois ont été analysées au sein de cette enquête :
- La malnutrition aigüe, qui a une forme modérée et une forme sévère, non prise en charge, peut très vite entraîner la mort. Elle se manifeste par un dépérissement sévère – importante perte en gras et en tissus musculaires (émaciation) – et l’apparition d’œdèmes. Elle est due à d’un apport insuffisant en nourriture, en énergie et en nutriments.
- La malnutrition chronique se matérialise par une taille non correspondante à l’âge réel du sujet. C’est le retard de croissance par excellence. Cette situation est généralement la conséquence d’une alimentation inadéquate et/ou de maladies infectieuses survenues pendant une période relativement longue ou qui se sont manifestées à plusieurs reprises[3]. Fréquemment la survenue se situe entre 6 mois et 2 ans d’âge.
- L’insuffisance pondérale : cette forme composite de sous-nutrition comprend des éléments de retard de croissance et d’émaciation définie par un poids pour l’âge inférieur de deux écarts-types au poids médian pour l’âge de la population de référence. L’indice poids/âge (ou insuffisance pondérale) reflète à la fois les effets du moment et du passé, c’est-à-dire les effets combinés de l’émaciation et du retard de croissance.
Dans l’enquête, les paramètres pour mesurer l’état nutritionnel des enfants se basent sur les normes de références de l’OMS de 2006 : à savoir l’indice poids-taille (P-T) et le périmètre brachial (PB ou MUAC – Mid-upper arm circonference) pour exprimer la malnutrition aiguë, l’indice taille-âge (T-A) pour exprimer la malnutrition chronique et l’indice poids-âge pour exprimer l’insuffisance pondérale. Le périmètre brachial est un indicateur utile pour identifier les enfants à haut risque de mortalité et est utilisé surtout pour le dépistage de la malnutrition.
Les résultats indiquent que les zones de santé les plus affectées par des formes de malnutrition aigüe globale (MAG) sont Manguredjipa, Biena et Rutshuru tandis que les zones les moins affectées sont Kyondo et Masereka. Les autres zones de santé ont des prévalences comprises entre 2 et 3 % : Goma, Karisimbi, Musienene et Vuhovi (tableau ci-dessous).
Prévalence de la malnutrition aiguë mesurée par le périmètre brachial (% et intervalles de confiance à 95 %)
Concernant la malnutrition chronique ou retard de croissance, utilisée comme indicateur de l’insécurité alimentaire d’une population, elle est jugée critique et requiert action urgente lorsque sa prévalence dépasse 40 %. Les résultats de l’enquête montrent que seules les zones de Goma et Karisimbi échappent à cette situation dramatique. Partout ailleurs, l’état nutritionnel des enfants est grave, et particulièrement dans les zones de Vuhovi, Musienene, Kyondo, Biena et Manguredjipa, où le pourcentage de malnutrition chronique globale chez les enfants se situe entre 63 et 72 %. L’insécurité alimentaire est donc une réalité au Nord-Kivu.
Prévalence de la malnutrition chronique (% et intervalles de confiance à 95 %)
Lorsque l’insuffisance pondérale des enfants âgés de moins de 5 ans dépasse une prévalence de 10 %, la situation est jugée préoccupante. Dans les zones enquêtées, les taux sont partout supérieurs à 10 % sauf pour la ville de Goma. La situation la plus préoccupante est observée à Biena avec 28,6 % des enfants en insuffisance pondérale.
Prévalence de l’insuffisance pondérale (% et intervalles de confiance à 95 %)
L’étude contextualise ces données sur la malnutrition en les analysant également au regard d’autres indicateurs reflétant l’état général des enfants tels que l’accès à des services de santé, la couverture vaccinale, la supplémentation en vitamines, la morbidité (diarrhée, toux, paludisme, etc.), les pratiques d’allaitement et de diversification alimentaire, l’accès à l’eau, l’hygiène et l’accès à des latrines, et la sécurité alimentaire des ménages.
Les résultats démontrent que si la situation de malnutrition aiguë reste globalement classifiée d’acceptable selon les pratiques de l’OMS, certaines zones méritent une attention particulière, notamment à Manguredjipa.
La malnutrition chronique est, quant à elle, largement préoccupante et les retards de croissance observés dans les 7 zones rurales étudiées dépassent le seuil d’urgence.
Si le projet PADISS oriente une partie de ses actions vers l’amélioration de la prise en charge des enfants souffrant de malnutrition aiguë, un effort particulier est apporté à la lutte contre la malnutrition chronique, qui représente un grand frein pour l’avenir des populations du Nord-Kivu.
Quelles seront les actions au cours des prochains mois ? Premièrement, avec la collaboration du terrain, mieux comprendre les habitudes alimentaires de la population. Ensuite, sensibiliser la population d’une part aux bonnes pratiques pour améliorer l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant, en fonction des disponibilités locales, et d’autre part à l’importance de suivi de croissance des enfants, notamment grâce à des consultations préscolaires (CPS) de qualité. Simultanément à ces actions sur le terrain, l’étude réalisée est actuellement complétée par l’actualisation des valeurs nutritives de divers aliments de base disponibles dans ces 9 zones de santé. Ceci permettra, in fine, de construire une stratégie Provinciale de lutte contre la malnutrition adaptée.
Le rapport final ayant servi de base pour cet article est disponible ici.
[1] https://www.unicef.org/drcongo/communiques-presse/enfants-malnutrition-aigue-2021
[2] https://www.unicef.fr/article/rdc-les-violences-perpetrees-par-les-milices-menacent-plus-de-3-millions-denfants-deplaces
[3] Manuel_orientation CPS RDC: p 11