L’obscure question foncière en RD Congo, un accès à la terre encore complexe
Beaucoup de nos projets d’agro-environnement ont des liens plus ou moins étroits avec la question de la gestion du foncier. En effet, que ce soit dans le cadre de périmètres agroforestiers qui permettent le maraîchage, que ce soit pour les ruchers, ou pour la question des conditions de vie des populations installées en pourtour d’aires protégées, l’accès à la terre, pour l’ensemble de ces paysannes et paysans, est d’une absolue nécessité.
La thématique est complexe en République démocratique du Congo. Le droit foncier, qui régit la matière, a évolué par soubresauts depuis la colonisation, et est aujourd’hui en grande inadéquation avec la réalité.
Régulièrement, nous avons eu le plaisir de collaborer avec Me Gabriel Katshioko, juriste spécialisé dans les matières foncières de la RDC. Il nous retrace les grandes étapes de l’épopée foncière depuis la colonisation.
Avant 1885, les Belges et autres étrangers présents au Congo utilisaient les terres mais ne prétendaient pas en être propriétaires. Ils payaient des redevances aux chefs coutumiers.
À partir de 1885, date où le Congo devient propriété du roi Léopold II, les terres deviennent propriété des colonisateurs, de nouveaux textes tentent de régir la matière et un cadastre est mis en place afin de sceller ces droits. Cette année est considérée comme date pivot à partir de laquelle la gestion foncière devient problématique, plusieurs entités s’estimant détentrices des mêmes droits sur les mêmes terres. En résumé, les conflits fonciers durent depuis plus de 150 ans en RDC.
En 1886, un régime dualiste est mis en place, tentant d’intégrer le droit coutumier et le droit écrit. Les terres occupées par les Blancs appartiennent aux Blancs. Les terres vacantes appartiennent aux Blancs. Les terres occupées par les indigènes restent régies par le droit coutumier. Ce texte, on l’aura compris, est totalement inégal. D’autant que par terre « vacante », il faut entendre non pas terre vacante de propriétaire, mais terre vacante d’occupation. De facto, cela signifiait donc que toute terre non cultivée ou non utilisée comme pâturage ou non construite revenait de plein droit aux Blancs. Quand on connaît la superficie du Congo (80 fois la Belgique), on comprend les enjeux…
À travers le pays, ces mesures soulèvent des rebellions. Les Belges, en réponse, reconnaissent alors certains droits à l’État congolais. C’est le début des petits arrangements entre l’État belge et l’État congolais. Les citoyens, eux, sont laissés pour compte, les terres ne leur reviennent pas.
Le Congo connaitra ensuite une période de codification de plus en plus forte, appelée aussi totalisation. Tout est régi par décret, tout est codifié. Cession, concession et mise en valeur du territoire sont réglées, organisées.
En 1960, c’est l’indépendance. Coexistaient jusque-là 4 régimes fonciers : le droit écrit qui s’appliquait à certaines terres, un décret spécifique de 1953 instaurant un régime spécial pour les terres acquises par les Congolais, le droit coutumier pour les terres indigènes, et le « droit d’occupation précaire et révocable ». La coexistence de ces quatre régimes incitera à simplifier, clarifier. Une pluie de textes légaux s’ensuit. En 1964, dans la constitution. En 1966, une ordonnance-loi retire les droits coutumiers et procède à un accaparement des terres par l’État congolais. Toutefois, la production de preuves concrètes permettait de conserver sa propriété. Il va sans dire que ces preuves concrètes de droits de propriété sur des « terres indigènes » étaient fréquemment inexistantes ; le droit coutumier étant largement de tradition orale, et les populations concernées étant régulièrement analphabètes.
Les droits fondamentaux se voient encore bafoués en 1971, quand est décrétée la disparition des indemnités d’expropriation si l’État estime que la terre n’est pas mise en valeur. En outre, la même loi annule tous les certificats d’enregistrement depuis l’état indépendant du Congo. La porte est grande ouverte à la cacophonie. Face à ce texte radical, des voix s’élèvent.
C’est en 1973, en réaction à la loi de 1971, qu’est promulguée la loi foncière. Bien que révisée en parties, elle régit toujours aujourd’hui la matière. La matière a été construite sur un socle d’argile, a subi des intempéries, s’est vue partiellement restaurée. Elle est aujourd’hui brinquebalante. Si on ajoute à cette fragilité intrinsèque la complexité des réalités à régir à l’heure actuelle, les modifications importantes de la société au cours des cinquante dernières années et le caractère essentiel de l’accès aux terres dans un pays où l’agriculture familiale fait vivre des millions de personnes, on comprend l’ampleur du travail à réaliser pour offrir aux populations un texte équilibré[1].
C’est dans ce cadre que la CONAREF, Commission nationale de réforme du droit foncier, a été créée en 1998, pour résoudre les inepties et injustices de la législation. Son mandat est dans son nom. Mais comme beaucoup de structures publiques, les fonds de fonctionnement sont cruellement absents, elle est très chichement financée. Elle n’est pas outillée pour pouvoir travailler. C’est ainsi que, créée en 1998, elle n’a reçu de bureau qu’en… 2011 ! Il aura fallu attendre 2014, soit 16 années, pour que surgisse le premier financement de son fonctionnement.
Si dans la loi foncière, une série d’« articles à problèmes » ont été pointés comme demandant réforme urgente (art. 183, 387, 388, 389, 390, 391), la seule avancée à ce jour est que la Commission s’est réunie pour décider de s’en préoccuper. Ces articles sont illogiques, ou injustes, ou sujets à interprétation. Bref, ils demandent clarification. Urgemment. Mais il semble qu’avant d’espérer l’avènement de la justice foncière, c’est de patience qu’il faudra encore faire preuve.
[1] C’est sans compter les domaines connexes, telle la loi minière, qui régit également l’accès aux terres, d’un point de vue des minerais, et qui prévaut sur la loi foncière !